L’aquarium promet à son spectateur un théâtre de couleurs et de mouvements hypnotiques, mais il impose au photographe une série de difficultés optiques peu indulgentes. Entre la vitre qui renvoie la lumière ambiante telle un miroir, l’eau qui filtre et réfracte, l’éclairage LED souvent bleuté et les sujets qui virevoltent sans prévenir, chaque image devient un petit exploit d’anticipation et de rigueur.
Je vous propose au travers de ce petit guide une méthode claire, éprouvée sur le terrain, pour dompter ces contraintes : maîtriser la vitesse d’obturation, choisir l’ouverture qui convient à la scène, accepter de monter en ISO et capitaliser sur le RAW pour retrouver une colorimétrie crédible et une texture propre en post-production. Les principes de l’exposition et de la lecture de l’histogramme n’ont rien d’accessoire : ils constituent l’ossature de votre réussite en bassin vitré… Si tant est que vous ayez respecté quelques règles simples lors de la prise de vue !
Le matériel : un atout indéniable en photo d’aquarium
À CONSULTER ÉGALEMENT : Pour en savoir plus sur la technique photo…
Un boîtier à contrôles manuels — reflex ou hybride — et robuste en hautes sensibilités reste l’allié principal. La capacité à modifier instantanément ISO et paramètres d’exposition est déterminante, et ça tombe bien car les modèles actuels offrent tous ces possibilités, avec des performances à hautes sensibilités qui seront très largement suffisantes pour réaliser de belles photos subaquatiques !
Côté optiques, deux familles servent particulièrement l’aquarium :
- Un objectif macro (50, 90 ou 105 mm) pour les détails de coraux, crevettes, gobies et juvéniles et plus généralement tout ce qui est petit ; la courte distance minimale de mise au point autorise un grossissement sans déformation outrancière, mais devra faire l’objet d’une grande patience car vous le savez, plus on est proche, plus la plage de netteté est courte.
- Un objectif lumineux (f/1,8 à f/2,8) pour grapiller de la lumière et sculpter un bokeh souple dans les arrière-plans durs des décors. Gardez à l’esprit le phénomène de diffraction : trop fermer le diaphragme peut émousser les micro-contrastes et la sensation de netteté, surtout sur capteurs aux actuels photosites ultraserrés.
Les accessoires utiles complètent la panoplie :
- Trépied compact (ou mini-trépied posé sur le meuble) pour sujets statiques et compositions millimétrées
- Chiffon microfibre pour garder la face externe impeccable — la moindre trace devient un astre en contre-jour
- Filtre polarisant circulaire (CPL) : il peut atténuer certains reflets, mais ses limites sont réelles derrière une vitre plane et à travers un volume d’eau ; privilégiez surtout la gestion de l’environnement car le filtre polarisant a un impact non négligeable ; il fait perdre en luminosité (jusqu’à 1.3 diaphragme !)
- Si vous êtes en intérieur et travaillez sur un aquarium privé ET que les espèces concernées n’y sont pas sensibles : des flashs déportés pourront être utiles (à ne JAMAIS utiliser à 90° par rapport à la vitre ! Privilégiez un angle de ±45° afin de limiter au maximum les effets lumineux gênants)
Préparation du terrain
Une photographie d’aquarium réussie commence avant le premier clic. Nettoyez la vitre intérieure (raclette, aimant) et extérieure (chiffon microfibre), retirez les bulles au niveau du verre et, si possible, réduisez la micro-neige en suspension en coupant quelques minutes la filtration (si les habitants le tolèrent).

Plongez la pièce dans l’obscurité : éteindre toutes les lumières de la pièce et éloigner les surfaces claires supprime d’emblée la majorité des reflets. Portez des vêtements sombres et non texturés. Placez-vous strictement perpendiculaire à la vitre : cela minimise les aberrations géométriques et la double image liée aux faces du verre ; l’optique travaille alors dans son axe, ce qui facilite la mise au point et la netteté de bord. Les lois d’optique qui régissent distorsions et aberrations ne pardonnent pas les angles obliques au travers d’un plan vitreux.
L’aménagement de son aquarium
Pour préparer son aquarium à la maison, il est conseillé de composer un décor cohérent, à la fois esthétique et fonctionnel, qui canalise le regard, ménage des zones d’ombre et offre des cachettes rassurantes.
Commencez par ancrer la scène avec des roches pour aquarium et une racine pour aquarium disposées en « triangle » ou en « îlot » pour structurer la perspective ; complétez avec des plantes artificielles pour aquarium de hauteurs variées afin de créer des plans successifs et masquer filtres ou câbles. Les coraux artificiels apportent des touches colorées et texturées sans les contraintes d’un bac récifal, tandis qu’une pièce signature — par exemple des décorations aquarium bateau patinées — devient votre point focal.

Évitez l’excès d’accessoires : gardez des zones de nage libres en façade et des refuges à l’arrière. Les éléments ludiques comme un faux poisson pour aquarium peuvent animer la composition, à condition de rester subtils pour ne pas perturber la lecture de l’ensemble.
Harmonisez enfin couleurs et granulométrie du sol avec le décor choisi, puis testez l’éclairage : un seul axe lumineux principal et un retour plus doux évitent les ombres dures et valorisent les textures. Vous trouverez par exemple chez PoissonArium tous les trucs sur comment decorer son aquarium d’eau douce, avec des sélections prêtes à l’emploi et des kits assortis pour réussir un paysage équilibré dès la mise en eau.
Le cas des aquariums publics
Bien entendu, ces conseils sont inapplicables dans les aquariums grand public. Dans ces derniers, l’utilisation de flashs est d’ailleurs proscrite (ce qui est fort logique). Dans ce cas, il sera déjà difficile (voire déconseillé) d’utiliser un trépied et vous devrez donc principalement vous reposer sur les performances de votre matériel.

L’usage est de se coller au plus près de la vitre, en choisissant des zones où elle est propre, et de faire en sorte de garder un angle parfaitement perpendiculaire à cette dernière lors de vos prises de vue (ce qui permettra de limiter au maximum les aberrations optiques et plus généralement la perte de qualité sur l’image finale, inhérente aux phénomènes de diffraction).
Une astuce consiste à s’habiller avec des vêtements sombres, afin de limiter au maximum les reflets lors de la prise de vue si vous ne pouvez pas vous coller aux vitres.
Pour les aquariums où c’est possible, utilisez un pare-soleil et collez-le à la vitre afin de garantir un angle de 90° avec vos sujets.
La photographie en extérieur (avec prélèvement dans l’environnement naturel)
J’ai beaucoup utilisé la technique de l’aquarium pour photographier les micro-organismes et espèces des mares et des cours d’eau, car cela facilitait grandement la prise de vue sans être obligé de se plonger dans des environnements parfois peu attirants (au risque d’endommager l’environnement… et de ne simplement pas pouvoir faire de photos tant la lumière manquait !)

Le principe est simple : on prélève délicatement à l’aide d’un seau de l’eau chargée en éléments naturels, avec quelques sujets, et l’on verse le tout dans un aquarium préalablement bien nettoyé. Il est nécessaire de laisser décanter l’ensemble quelques minutes afin que les particules en suspension dans l’eau retombent, pour débuter la séance de prise de vue.
Pour le reste, les réglages techniques ci-dessous s’appliquent, au détail que l’on bénéficie de la lumière du jour pour réaliser ses photographies ! Attention : il est nécessaire de procéder rapidement, afin de ne pas risquer la vie des espèces photographiées (tout en respectant la loi : on ne manipule JAMAIS les espèces protégées).
Les réglages techniques : le cœur du sujet
En photographie d’aquarium, la hiérarchie des réglages est claire : figez d’abord le mouvement, exposez ensuite, et acceptez le bruit plutôt que le flou.
- Mode de prise de vue : Manuel (M) pour verrouiller un couple vitesse/ouverture et faire varier l’ISO au besoin (si votre appareil le permet) ; ou Priorité vitesse (S/Tv) si vous souhaitez garantir un plancher de netteté (l’appareil ouvre alors autant que nécessaire). Les automatismes modernes et la correction d’exposition restent exploitables et prévisibles quand on sait lire l’histogramme.
- Format : RAW impératif, pour recalibrer balance des blancs et exposition, et profiter d’une réduction de bruit plus propre au développement que dans un JPEG direct (entre nous : quel photographe sérieux utilise du JPEG direct ?…)
Le triangle d’exposition adapté
| Paramètre | Rôle principal | Paramètres / Exemples (pour le vivant) | Remarques et Conséquences |
| Vitesse d’obturation | Figer ou suggérer le mouvement. | Prioritaire pour le vivant : • Plantes, coraux (avec trépied) : ~1/60 s • Poissons lents (discus) : ≥ 1/125 s • Poissons rapides (tetras) : 1/250 s à 1/500 s | C’est la clef de l’intention (figer net ou montrer le mouvement). |
| Ouverture | Arbitrer la profondeur de champ (zone de netteté). | • Grande (ex: f/2,8) • Petite (ex: f/8 – f/11) | • f/2,8 : Max de lumière, sujet isolé (bokeh), mais zone de netteté très fine (pardonne peu les erreurs). • f/8-f/11 : Marge de netteté accrue, mais demande plus de lumière (ISO/éclairage). Attention à la diffraction si on ferme trop. |
| ISO | Variable d’ajustement de la sensibilité. | • Commencer vers 800 ISO. • Monter si besoin à 3200 ou 6400. | Mieux vaut une image légèrement granuleuse qu’une « nageoire fantôme » (floue). L’échelle double à chaque palier (100→200→400…). |
Depuis plus de 20 ans, je lis beaucoup de choses sur la montée en ISO. Mais d’expérience, la montée en sensibilité est très largement préférable à une photo floue ! Et d’ailleurs, posez-vous la question : à quels usages sont destinés vos clichés ?… Sur les réseaux sociaux : les images seront réduites et optimisées et le bruit sera invisible. Sur un tirage sur support physique, le bruit sera littéralement « gommé » par la texture du support !
Mon conseil est très clair : ne soyez pas effrayé par la montée en ISO !
La mise au point (autofocus)
Les poissons changent de plan en un battement de caudale. Sélectionnez l’AF-C (mise au point continue) avec un collimateur spot si possible placé sur l’œil — c’est la zone à préserver coûte que coûte (les boîtiers modernes les plus performants le font automatiquement… Pour les anciens modèles, c’est juste au petit bonheur la chance : on ne va pas se mentir !)

Sur certains sujets parallèles à la vitre et trajectoires prévisibles, la mise au point manuelle avec focus peaking (si disponible) devient redoutable, en pré-focalisant à une distance où le sujet passera. Les modes de mesure et d’assistance modernes apportent une vraie constance quand ils sont combinés à une lecture systématique de l’histogramme.
La balance des blancs
L’éclairage LED « actinique » bleuté et l’absorption sélective dans l’eau dérivent la colorimétrie. Bannissez l’auto ; réglez en Kelvin (souvent 6000–9000 K selon rampes) ou appliquez une charte neutre…
Non, oubliez ces conseils : photographiez en RAW et réglez la balance des blancs lors du développement !!! Plus simple, plus rapide, et permet de gérer vos développements numériques par lots !
Quelques réglages usuels (le guide « rapide » !)
| Situation | Vitesse indicative | Ouverture typique | ISO de départ |
|---|---|---|---|
| Coraux / invertébrés statiques | 1/60 s (avec appui) | f/5,6–f/8 | 800 |
| Poisson placide | 1/125–1/200 s | f/4–f/5,6 | 1600 |
| Banc nerveux | 1/250–1/500 s | f/2,8–f/4 | 3200–6400 |
| Macro très rapprochée | 1/160–1/200 s (si flash) | f/8–f/11 | 200–400 |
Gérer la lumière : le flash et les reflets
Le flash intégré est à proscrire : frontal, il signe un reflet à 100 % sur la vitre. Si vous devez en utiliser un, préférez un flash externe déporté et pensé pour « rater » son reflet. Il existe principalement deux techniques d’éclairage au flash pour la photographie d’aquarium :
- Technique par le dessus : flash tenu au-dessus de l’aquarium, vers le bas, diffusion douce ; l’angle d’incidence n’est plus coplanaire à la vitre, le reflet part ailleurs.
- Technique latérale 45° : flash sur le côté, environ 45° par rapport à la vitre, pour renvoyer l’éventuel reflet hors champ.
Deux astuces anti-reflet font des miracles : porter des habits sombres et utiliser un pare-soleil caoutchouc/manchon collé contre la vitre pour sceller l’objectif à la surface (et couper toute lumière parasite de la pièce). La lisibilité de l’histogramme après déclenchement vous indiquera si l’éclair a « lavé » des hautes lumières ; ajustez la puissance et surveillez le clignotement des zones brûlées.
Post-production : révéler la photo !
Le développement n’est pas un rattrapage miraculeux, mais l’aboutissement logique d’une prise de vue solide. Le RAW vous permet d’affiner exposition, balance des blancs, micro-contrastes et réduction du bruit avec un contrôle bien plus fin qu’en JPEG direct (que j’ai banni depuis plus de 20 ans déjà dans ma pratique photographique !)
- Étape 1 – balance des blancs : c’est votre réglage cardinal ; pipette sur un élément neutre ou ajustement en Kelvin pour neutraliser les dominantes froides.
- Étape 2 – exposition/contraste : montez légèrement les ombres, retenez les hautes lumières, dosez la vibrance plutôt que la saturation globale ; validez avec l’histogramme pour éviter les cassures (« fromage blanc ») à droite.
- Étape 3 – réduction du bruit : d’abord chroma (couleur), puis luminance (grain) avec parcimonie pour par exemple préserver les écailles et branchies des petits spécimens.
- Étape 4 – netteté : accentuation sélective via masquage ; ciblez l’œil et les zones de texture utile, épargnez les aplats d’eau.
- Étape 5 – nettoyage : tampon correcteur pour les particules en suspension dans l’eau et autres micro-rayures.

Pensez « exposition à droite » à la prise de vue pour maximiser l’information dans les hautes lumières et offrir plus de latitude au développement sans faire monter artificiellement le bruit des basses lumières.
Check-list express (sauf aquarium en extérieur)
- Vitre propre (intérieur/extérieur) et vêtements sombres
- Pièce plongée dans le noir, l’aquarium doit être la seule source de lumière
- Position perpendiculaire au verre
- Mode M ou Priorité vitesse, format RAW, histogramme activé
- Vitesse définie par le sujet, ouverture en fonction de la profondeur de champ, montée en ISO sans frilosité
- Suivi autofocus collimateur sur l’œil, ou mise au point manuelle anticipée
- Pare-soleil/manchon contre la vitre, flash externe déporté si nécessaire/autorisé
Questions/réponses

Conclusion
Photographier dans un aquarium, c’est accepter un environnement contraint et s’en faire un allié. Le protocole est simple : se placer perpendiculaire à la vitre, imposer une vitesse d’obturation adaptée au sujet, viser l’œil avec un autofocus précis (ou une pré-mise au point maîtrisée), enregistrer en RAW et piloter l’ensemble par la lecture attentive de l’histogramme. Les fondamentaux d’exposition, de balance des blancs et de développement constituent votre filet de sécurité.
L’école de la photographie d’aquarium réclame de la patience et un vrai lâcher-prise : beaucoup d’images seront éliminées, mais les rares qui restent — un éclair d’irisation, une nageoire au zénith, un regard doré — valent toutes les tentatives. La maîtrise technique ouvre la voie au plaisir ; le reste n’est qu’affaire d’observation et de rythme !




