PHOTO : Depuis mon affût en lisière

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18h45… J’annonce à Madame que je m’absente un peu plus d’une heure pour faire des photos. Qui ne dit rien consent ^_^ et me voilà donc parti, 500mm sous le bras. Je sais déjà où je vais aller : à 300m de chez moi à vol d’oiseau, là où chaque soir quand je me rends au sport, je vois un petit groupe de chevreuils, venir boire dans la mare ponctuant ce long pré qui jouxte les deux bosquets que je rêve secrètement d’acheter 😉

Fier comme Artaban, le lièvre qui sort du bois !
EOS 5D + Sigma 500/4.5 EX HSM, sur monopode
f/5.0, 1/200ème, 1600 ISO, -0.3 EV

Pour une fois, j’ai sorti le VTT. Il faudra réinvestir très vite car il grince sous le poids de mon équipement… et sous le mien certainement ! Par excès d’entretien sans doute (je parle du vélo !) ; en deux minutes, je suis sur place. La route est en contre-bas, je n’aime pas trop que l’on me voie accoutré de ma fameuse ghillie suit. Je contourne donc la petite mare en partie entourée de barbelés pour éviter aux vaches qui viendront très prochainement brouter ici même, d’en saccager les abords. Le soleil se couchera face à moi, là-haut sur la gauche, entre les deux bois. La position est intéressante car le terrain, en pente, subit une dépression juste avant la mare.

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Je m’installe avec mon monopode (Erreur stratégique ! J’ai eu la fainéantise d’aller chercher mon trépied…) dans ce « trou », à genoux et assis sur mes talons. Mes nouvelles chaussures de marche sont assez rigides pour supporter mon poids sans devoir plier les orteils, la position, bien qu’inhabituelle pour un affût qui va durer près d’une heure, est très confortable ! De fait, bien installé derrière mon camouflage (j’ai mis le bas de la ghillie sur mon matériel, puisque mes jambes seront de toute façon invisibles par mes sujets), je peux scruter la lisière de gauche, de là où sortent habituellement mes chevreuils, tout en étant quasiment à la hauteur de l’herbe : parfait !

S’installe alors une longue attente… Comme toujours, je ne pense plus à rien, et mes sens s’éveillent. Les vaches du pré voisin me semblent toutes proches, je les entends ruminer. Une araignée saltique m’offre un ballet intriguant sur un petit épineux dans lequel je m’étais accroché en m’installant. Dans la mare, les grenouilles s’animent. Les cardamines sont sorties depuis plusieurs jours, rivalisant avec les pissenlits naissants. Un milan noir passe et repasse au-dessus de moi, et j’entends des rapaces s’interpeler dans les arbres voisins. Le vent, un peu marqué ce soir, s’amplifie avec l’heure et commence à tournoyer, mettant ma confiance en berne : si je sens sur mon visage les changements de direction, il y a tout à parier que mon odeur se balade un peu partout dans le pré !!!

Je décide néanmoins de rester jusqu’à l’heure convenue (je rigole intérieurement car seul mon téléphone portable me donne l’heure, et il est soigneusement rangé et éteint dans une poche de mon pantalon…) car après tout, ça ne serait pas la première fois que je réussis des photos avec un vent défavorable : il se passe parfois des choses étranges défiant toutes les lois de la photo nature 😉

Les arbres s’entrechoquent avec le vent, et je mets quelques secondes à comprendre que ces bruits qui attisent mes sens ne sont pas des animaux à l’approche ! Un pic épeiche traverse le pré en ondulant pour rejoindre le bosquet voisin. Si mon ouïe ne me fait pas défaut, mes yeux me trahissent : j’aurais juré voir un chevreuil là-haut, en haut du pré ! Tout doucement, je réoriente mon objectif pour vérifier… Fausse alerte, c’est un reflet dans les arbres clairsemés au loin, formé par le soleil déclinant. J’en profite pour vérifier mes paramètres de prise de vue : 1/160ème à 1600 ISO et f/5.0…

Comme très souvent, c’est à ce moment précis, quand je commence à me dire que je vais partir, que l’improbable se produit : des craquements caractéristiques viennent à moi et se rapprochent ! Ils sont là. Ou « il » est là, je ne sais pas. Apparemment, un seul animal. Je penche pour un herbivore, par sa façon de marcher et de s’arrêter tous les quelques pas pour écouter le voisinage. Vu le raffut qu’il produit, ce doit être un chevreuil ! Toute mon attention se porte alors sur la lisière, mes yeux deviennent des radars scrutant chaque mouvement de feuillage, chaque bruit perceptible venant à mes oreilles me permettant d’évaluer la direction de mon sujet. Ma concentration ne tombe pas, mon rythme cardiaque ne s’emballe plus comme c’était le cas à mes débuts… Chose étrange, je m’en rends compte et je souris : ce sentiment de « maîtriser ses émotions » est quelque chose de décisif quand un animal surgit devant soi et qu’il est probable que l’on ne dispose que de quelques fractions de secondes pour assurer la photo de sa vie 🙂

Je l’entends, mais je ne le vois pas. L’angle mort formé par mon matériel est très restreint, et un instant, alors que je n’entends plus qu’un bruit feutré, je tourne tout doucement mon 500mm : surprise !!! C’est un gros lièvre, un bon gros lièvre, qui vient de sortir du bois pile là où je ne pouvais pas regarder, derrière mon objectif !!!

Il s’approche, confiant. Le temps de cadrer, clac clac. Deux photos. Aïe, je suis un peu près et je n’ai pas de housse anti-bruit… Le 5D n’est pas réputé pour son silence, et les grandes oreilles de mon invité détectent aisément la retombée du miroir. Je suis grillé ! Silence et immobilité absolus durant une bonne minute, le lièvre reprend peu à peu confiance car par chance, il me semble qu’une voiture est passée à ce moment précis sur la route en contre-bas. Il fait quelques sauts, s’approche de moi en biais, sans le vouloir. Clac. Un coup de trop (et une photo floue…) : il détale, fait 25 mètres à grands bonds et me scrute de son oeil globuleux. Je l’observe dans mon 500, sans bouger, et cela va durer 5 bonnes minutes. Peu rassuré, il reprend son bonhomme de chemin, montant dans le pré en s’arrêtant tous les trois ou quatre bonds pour m’observer en coin. Un grand rapace, certainement le milan observé précédemment, passe deux fois au-dessus de mon lièvre, sans se montrer belliqueux. Il est désormais loin et la lumière décline, il est temps pour moi de prendre congé…

Quand je repartirai, il aura fait quelques mètres de plus vers le haut du pré, certainement frustré de s’être fait avoir par la « chose » que j’étais et qu’il n’a pas su repérer. Je repars prudemment car il fait sombre et je n’avais pas fait attention à l’absence de lumière sur mon vieux VTT…

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