Technique : Photographier les libellules

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Dans l’univers de la photographie animalière, rares sont les sujets qui allient autant de délicatesse, de technicité et de poésie que les libellules. Véritables bijoux ailés aux reflets métalliques, elles offrent au photographe averti un terrain de jeu fascinant. Mais leur captation ne s’improvise pas : entre leur nervosité légendaire, leurs déplacements fulgurants et la complexité de leur morphologie, chaque image se mérite.

Photographier les libellules, c’est accepter d’entrer dans un monde miniature où la lumière devient peinture, où la profondeur de champ se réduit à quelques millimètres et où la patience est la plus précieuse des vertus. C’est aussi un exercice technique qui mobilise à la fois la maîtrise des réglages et une parfaite compréhension de la biologie et des habitudes de ces insectes volants.

Je vous propose de vous accompagner pas à pas dans cet art délicat, en conjuguant rigueur technique et sensibilité naturaliste.

À CONSULTER ÉGALEMENT : Pour en savoir plus sur la macrophotographie et la proxyphoto

L’essentiel à savoir sur les libellules

Avant même de songer à photographier ces joyaux ailés, il est indispensable de connaître leur biologie et leur écologie. Cette compréhension fine permet non seulement de mieux les trouver, mais aussi d’anticiper leurs comportements pour multiplier les occasions de prise de vue réussie.

Classification et morphologie

Les libellules appartiennent à l’ordre des Odonates, qui se divise en deux sous-ordres distincts :

  • Anisoptères : ce sont les libellules « classiques », au corps robuste et aux ailes postérieures plus larges que les antérieures. Elles volent avec puissance et se posent généralement avec les ailes étalées à plat.
  • Zygoptères : communément appelées demoiselles, elles possèdent un corps fin et gracile, et replient leurs ailes le long de l’abdomen au repos.
Agrion commun

Leur anatomie, parfaitement adaptée à la chasse aérienne, comprend :

  • Des yeux composés démesurés, occupant la majeure partie de la tête, leur offrant une vision quasi panoramique.
  • Un thorax puissant abritant les muscles du vol, capable de soutenir des déplacements rapides et des vols stationnaires.
  • Des ailes nervurées translucides, véritables bijoux d’ingénierie, qui fonctionnent de manière indépendante pour une manœuvrabilité exceptionnelle.
  • Un abdomen allongé et segmenté, souvent orné de couleurs métalliques ou vives, jouant un rôle dans la reproduction et la thermorégulation.

Cycle de vie et métamorphose

La vie d’une libellule se partage entre deux milieux : aquatique pour la larve et aérien pour l’adulte.

  1. Phase larvaire
    La femelle pond ses œufs dans ou près de l’eau. Après éclosion, la larve — appelée naïade — vit de quelques mois à plusieurs années sous l’eau, prédatrice redoutable des petites proies aquatiques. Elle respire grâce à des branchies situées dans son rectum, expulsant de l’eau pour se propulser.
  2. Émergence
    À maturité, la larve sort de l’eau, s’agrippe à une tige ou une pierre, et mue une dernière fois. L’adulte ailé — l’imago — se déploie en quelques heures, ses ailes se gonflant de fluides avant de durcir.
  3. Phase adulte
    De quelques semaines à quelques mois selon les espèces, cette étape est dédiée à la reproduction et à la chasse. Les adultes sont strictement carnivores et capturent leurs proies en vol.

Comportements et territorialité

Les libellules sont des prédateurs visuels : elles repèrent leurs proies à distance et interceptent leur trajectoire avec une précision redoutable. Les mâles, souvent plus colorés, défendent activement un territoire de reproduction, chassant les intrus et courtisant les femelles par des parades aériennes.

Accouplement d'agrions sur une tige
Accouplement d’agrions sur une tige

En photographie, ces comportements sont précieux à exploiter :

  • Un mâle posé sur un perchoir exposé revient souvent au même endroit après un vol de chasse.
  • Les femelles, plus discrètes, se trouvent souvent à proximité mais hors des zones de confrontation.

Saisonnalité et périodes d’activité

La présence des libellules varie selon la latitude, mais en Europe tempérée :

  • Premières émergences : dès avril pour les espèces printanières.
  • Pic d’activité : de juin à août, période idéale pour l’observation et la photographie.
  • Déclin : en septembre-octobre, seules subsistent les espèces tardives.

Leur activité quotidienne dépend fortement de la température : elles sont presque immobiles au lever du soleil, s’activent en milieu de matinée, atteignent un pic en début d’après-midi, puis ralentissent avant le crépuscule.

Cordulie à corps fin (Oxygastra curtisii), une libellule rare à observer !
Cordulie à corps fin (Oxygastra curtisii), une libellule rare à observer !

Les libellules, des indicateurs de biodiversité

Les libellules sont d’excellents bioindicateurs : leur présence et leur diversité reflètent la qualité des milieux aquatiques et de leur environnement terrestre. Photographier les libellules, c’est aussi témoigner de la santé des écosystèmes, ce qui confère à cette pratique une dimension à la fois artistique et naturaliste.

Le matériel idéal pour photographier les libellules

La photographie rapprochée de ces insectes requiert un matériel adapté, conciliant qualité optique et maniabilité, mais avec une contrainte majeure : la stabilité !

Objectifs recommandés

  • Macro 90 à 200 mm : pour des portraits détaillés avec un rapport de reproduction 1:1, pour les plus téméraires et patients
  • Téléobjectif 300 à 500 mm : idéal pour saisir l’insecte à distance sans l’effrayer, tout en isolant le sujet par un joli bokeh (à utiliser éventuellement avec une bague allonge ou un multiplicateur de focale)
  • Pour les petits budgets, le zoom macro type 70-300 mm : polyvalent, mais souvent moins lumineux et moins qualitatif
Il faut savoir parfois se sacrifier pour photographier les libellules !
Il faut savoir parfois se sacrifier pour photographier les libellules (ici mon complice Cris !)

Accessoires utiles

En macrophotographie, ou plutôt ici proxyphotographie, la stabilité est le maître mot comme je vous l’ai dit, car bien souvent la profondeur de champs se réduit à peau de chagrin. Il est donc parfois nécessaire de recourir à quelque accessoire bienvenu pour optimiser ses chances :

  • Trépied léger ou monopode pour stabiliser les prises en lumière faible.
  • Diffuseur ou réflecteur pour adoucir la lumière en plein soleil.
  • Bague-allonge pour réduire la distance minimale de mise au point avec un téléobjectif (attention, vous perdrez la mise au point à l’infini !)

Le matériel conseillé, en résumé

Selon vos moyens (c’est le nerf de la guerre !) et votre expérience, plusieurs approches sont possibles. Le juste milieu voudrait que vous vous penchiez sur un objectif macro type 100mm, et que vous privilégiez les heures très matinales, au moment où les odonates sont encore figées par la fraîcheur de la nuit.

MatérielAvantagesLimites
Macro 90 à 200 mmDétails extrêmes
Flou d’arrière-plan doux
Distance réduite au sujet
Mise au point lente et difficile
Téléobjectif 300 à 600 mmNe dérange pas l’insecte
Flou d’arrière-plan doux à très doux
Poids important
Profondeur de champs très réduite
Bague-allonge sur téléobjectif (200 à 600mm)Économique, augmente le rapport de grossissementPerte de luminosité
Plus de mise au point à l’infini

Maîtriser la lumière et la profondeur de champ

Les libellules, avec leurs ailes translucides et leurs reflets métalliques, réagissent fortement à l’incidence lumineuse. La règle d’or : éviter les contrastes excessifs qui brûleraient les hautes lumières ou noieraient les ombres.

Réglages de base

  • Ouverture : f/8 à f/11 pour conserver netteté et détails sur tout le corps.
  • Vitesse : 1/800 s ou plus pour figer les mouvements en vol.
  • ISO : rester bas (100–400) pour limiter le bruit, sauf en sous-bois.
Libellule emprisonnée (temporairement !) dans une toile couverte de rosée, au lever du jour
Libellule emprisonnée (temporairement !) dans une toile couverte de rosée, au lever du jour

Photographier une libellule posée

Approchez lentement, par petits mouvements latéraux, en évitant l’ombre portée sur l’insecte. Placez l’œil le plus proche du photographe sur un point fort de l’image, selon la règle des tiers.

Sympetrum commun posé sur une fougère (France)
Sympetrum commun posé sur une fougère

Photographier une libellule en vol

C’est un exercice d’anticipation. Repérez un individu qui patrouille, identifiez son circuit de vol et déclenchez lorsqu’il repasse au même endroit. Utilisez la rafale pour maximiser les chances d’obtenir un cliché net.

Composition et arrière-plan

L’arrière-plan joue un rôle majeur dans la valorisation du sujet :

  • Privilégier un fond relativement uniforme et/ou suffisamment éloigné pour obtenir un bokeh crémeux
  • Exploiter les couleurs complémentaires (vert de l’herbe / bleu métallique des agrions par exemple)
  • Intégrer des éléments naturels pour contextualiser la scène
Gomphe commun (Gomphus pulchellus) sur son perchoir
Gomphe commun (Gomphus pulchellus) sur son perchoir

Une libellule perchée sur une tige courbée, baignée par un contre-jour doré, sera souvent plus évocatrice qu’un portrait hyper serré sans contexte.

En résumé

Photographier les libellules, c’est conjuguer technique exigeante et contemplation de la nature. Chaque séance est un mélange d’observation, d’approche et de patience, récompensé par la magie des couleurs et la grâce du sujet. Maîtriser l’éclairage, le matériel et la composition vous permettra de capturer l’essence fragile de ces créatures, tout en respectant leur environnement.

Sympetrum vulgatum posé sur le doigt d'un naturaliste

L’important n’est pas seulement de figer une image, mais de raconter l’histoire d’un instant suspendu.

Questions/réponses

Quelle focale choisir pour photographier une libellule sans l’effrayer ?

Un téléobjectif de 300 à 500 mm permet de travailler à bonne distance tout en préservant les détails et en évitant de perturber l’insecte.

Pourquoi photographier les libellules tôt le matin ?

Parce qu’elles sont engourdies par la fraîcheur et moins promptes à s’envoler, offrant des opportunités de cadrages rapprochés.

Faut-il utiliser un flash en macro de libellule ?

Oui, mais avec modération et idéalement avec un diffuseur pour éviter les reflets brûlés sur les ailes translucides.

Comment obtenir un bel arrière-plan flou en proxyphoto ?

En utilisant une grande ouverture (f/4 à f/5,6) et en éloignant le sujet de l’arrière-plan, surtout avec une longue focale.

Peut-on photographier une libellule en vol avec un reflex d’entrée de gamme ?

Oui, mais il faudra privilégier la mise au point manuelle anticipée sur une zone et déclencher en rafale au bon moment.

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