Interview : Laurent Piechegut, photographe plongeur

Soucieux d’ouvrir encore un peu plus Aube Nature au monde merveilleux de la photographie nature et environnementale, je profite de l’annonce officielle des résultats du BBC Wildlife Photographer of the Year pour vous présenter au travers de diverses interviews, quelques personnalités singulières et ô combien captivantes qui partagent notre passion commune.

Le premier de ces entretiens prend la direction du sud de la France, dans le grand bleu de la Méditerranée : Laurent Piechegut est plongeur photographe, il vient donc d’être primé au fabuleux concours du Wildlife Photographer of the Year organisé par le Muséum d’Histoire Naturelle et la BBC à Londres, et nous parle du monde sous-marin vu au travers de son objectif…

Salut Laurent, peux-tu te présenter ?
Je suis kiné et moniteur de plongée, j’ai 37 ans et suis papa de 2 petits garçons. Je réside dans les Cévennes et j’ai commencé la photo il y a 5 ans. Concernant la plongée, je suis tombé dedans quand j’étais petit puisque je pratique cette activité depuis l’âge de 12 ans.

À CONSULTER ÉGALEMENT : Pour en savoir plus sur le métier de photographe

Photographe plongeur : Laurent Piechegut

Comment es-tu venu à pratiquer la photo ?
Après plusieurs années d’enseignement de la plongé en club, je voulais partager ces moments toujours trop courts que l’on ressent sous l’eau, l’ambiance, les couleurs, le rêve et le mystère du milieu sous-marin, partager toutes ces émotions sous marines… Je me suis donc lancé dans la photo ! J’ai commencé avec un petit Coolpix Nikon dans l’étang de Thau et en rivières. Mes terrains d’apprentissage sont très vite devenu mes studios de prise de vue : L’étang de Thau, les rivières cévenoles, et évidemment la Méditerranée puisque j’habite à 1h de la Grande Bleue… Je suis avant tout un photographe local, en relation intime avec mon terroir et les racines de ma région, le sud de la France.

Comment travailles-tu aujourd’hui ? Parles-nous de ton matériel !
Je travaille avec du matériel Canon depuis 2 ans et pour le sous marin, j’utilise des caissons étanches Seacam. Je ne suis pas un fou de matériel mais au fur et à mesure de mon expérience, je me suis rapproché de ces 2 marques, ce qui m’a permis d’être en relation privilégiée avec leurs services professionnels. Je travaille avec des optiques fixes comme le 15mm fish-eye, le 60mm macro et le 100mm macro. Pour l’éclairage, j’utilise des flashs Ikelite DS 125, qui sont légers et offrent de bonnes couvertures angulaires.

Petite question technique car je suis un vilain petit incorrigible : je crois savoir que tu travailles avec des EOS 5D, et pourtant tu dis utiliser le 60mm macro (qui est un objectif pour les appareils APS-C). Pourquoi ce choix si particulier ?
Exact, en adaptant une bague kenko sur un 60 mm EFS et un peu de bricolage, ça fonctionne très bien avec le plein format… Ce qui permet d’avoir une distance de mise au point plus courte !

As-tu des thématiques précises, comment orientes-tu le choix des sujets à photographier ?
Je suis devenu un opportuniste de l’image… Je ne plonge plus sans mon matériel et surtout en Méditerranée… J’oriente le choix de mes images en fonction des endroits dans lesquels je vais, de la biodiversité du site et des espèces locales qui y résident. Je rentre d’une croisière en Méditerranée, je voulais rencontrer des espèces en eaux profondes comme le gorgonocéphale ou explorer certaines épaves. Je m’ennuie rarement en plongée car il y a toujours quelque chose à observer et photographier. Je complète cette passion sous-marine par l’exploration des rivières méditerranéennes qui sont une part intégrante de l’écosystème de ma région.

Racontes-nous ton parcours et ta réussite au Wildlife photographer of the year 2008 !
Tout a commencé il y a 1 an en 2007. J’ai reçu un mail de l’officier du BBC me présentant le concours et m’invitant à y participer. Je connaissais ce concours, j’ai d’ailleurs tous les livres sur ma table de chevet, et à ma grande surprise je décroche pour cette première participation, 3 photos en finale et 1 dans la sélection gagnante ! J’étais fou de joie, mais je n’avais pas bien lu le règlement car ma photo gagnante avait été primée dans autre un concours international, elle ne pouvait être validée au BBC. J’ai donc envoyé un mail à l’organisateur demandant de me disqualifier : tu vois le truc, j’étais très déçu…

Puis le temps a passé, c’est dans l’échec que l’on apprend la sagesse…et j’ai donc continué à plonger, à me faire plaisir jusqu’a cette rencontre avec le castor. J’ai envoyé les photos et le bonheur, la surprise… Depuis juin, c’est de la folie, c’est une belle revanche !

Travailler avec les gens du BBC, c’est extraordinaire : des pros de chez pros, qui répondent à tes mails, t’appellent, consultent ton avis, bref un travail très constructif et super formateur pour un photographe comme moi.

Racontes-nous cette rencontre avec le castor. Ce n’est pas un animal que l’on croise tous les jours non ?
J’ai vu des traces de présence du castor sur la rivière, et j’ai exploré plus particulièrement ce morceau de rivière jusqu’à cette rencontre. Le castor était devant un accès qui lui permettait de passer de la rivière aux arbres de la berge d’une manière discrète pour se nourrir. L’instant était fort, puissant…

Castor d'Europe sous l'eau

Le castor est un animal inscrit sur la liste rouge de l’UICN, il a failli disparaître complètement des rivières françaises. Depuis quelques années, grâce à sa protection, la population est en augmentation constante, mais il est cependant extrêmement rare de l’observer dans son milieu subaquatique. Il pourrait être un symbole de la faune européenne et des combats communautaires qu’il reste à mener pour la protection des espèces sensibles.

Quels sont tes moyens de documentation vis-à-vis de la faune, que tu sembles plutôt bien connaître ? Hormis le castor, la faune méditerranéenne par exemple, est extrêmement riche et complexe à identifier non ? Te documentes-tu ou coup par coup ou as-tu une démarche naturaliste continue parallèlement à ton activité photographique ?
Le milieu subaquatique regorgent d’espèces encore méconnues, aujourd’hui 1% des océans a été exploré, 400 000 espèces marines seulement ont été décrites par la science et la Méditerranée représente 8% de la biodiversité sous marine et elle est l’un des 25 points chauds de la biodiversité mondiale à protéger… Je m’attache aujourd’hui à travailler sur tout les sujets, originaux dans leurs couleurs, leurs formes, leurs modes de vie, et bien sur tout ce qui touchent à la fragilité du monde subaquatique comme le réchauffement climatique ou la dégradation de l’environnement sous marin…

Par exemple, photographier l’invasion des méduses en Méditerranée ; je viens de terminer aussi un reportage sur les sentiers sous marin. Cela devient primordial pour l’information, la sensibilisation et la protection des espèces, on ne protège que ce que l’on connaît réellement !!!

Méduses en Méditerranée

J’ai su récemment que tu avais sorti un livre sur la plongée sous-marine, en collaboration avec un autre instructeur. Peux-tu nous en dire un mot ?
Autre grande aventure de cette année ! Un de mes amis m’a demandé d’être coauteur photographe pour un livre technique sur l’enseignement de la plongée : « Moniteur de plongé, mode d’emploi » aux Éditions Ellipses. Le milieu de l’édition est une autre découverte, pas simple mais au final très complémentaire au milieu de la presse… Nous avons travaillé presqu’un an et multiplié les sorties techniques. Le livre est aujourd’hui dans les fournitures fédérales de la FFESSM et dans les FNAC… C’est un livre technique, orienté pour les instructeurs de plongée.

Pas vraiment un livre photo en somme ? Mais je gage que cette expérience t’as donné des idées non ?
Ce n’est pas la priorité du moment car préparer un livre demande beaucoup de temps et de disponibilités mais j’ai quand même quelques idées…

Comment sont diffusées aujourd’hui tes images ? Quels sont tes axes de travail ?
Je travaille avec l’agence BIOS PHOTO depuis 2 ans, elle est proche de chez moi, c’est une superbe collaboration, ils m’ont beaucoup aidé et conseillé et leur avis est toujours très intéressant… Je m’y sens bien !
Je travaille exclusivement sur le pourtour de la grande bleu, de l’eau douce des Cévennes à l’eau salée de Méditerranée. Progressivement je suis devenu un photographe engagé, environnementaliste, sensible au réchauffement climatique et à la pollution environnementale humaine. Ma passion photographique n’a donc pour but que de montrer la nature qui nous entoure.

À la naissance de mes enfants et avec toutes les expériences que j’ai eu grâce à eux, je me suis rendu à l’évidence : on connait d’avantage la faune sous-marine de Mer Rouge et des Galapagos que le milieu sous marin proche de nos côtes. J’ai donc travaillé sur une exposition photographique « Méditerranée, plaidoyer pour le bleu » pour découvrir, informer, protéger les espèces présentes à nos portes.

J’ai aujourd’hui conscience que l’environnement sous-marin est en danger voire en sursis dans certains lieux. Cette exposition a été présentée au Festival de Montier-en-Der en 2007 et diffusée par l’agence de communication B System à Nantes.

Si aujourd’hui, tu ne sensibilises pas les enfants à l’écologie participative, tu ne sais pas ce qu’il restera du patrimoine naturel lorsqu’ils grandiront… Et l’agence m’aide beaucoup dans cette voie.

Je suppose que comme tout photographe, tu as des modèles en photo ou plutôt des styles ou travaux de photographes qui t’inspirent ? Peux-tu nous donner quelques sources de tes inspirations ?
J’aime beaucoup de styles tant en sous-marin, qu’en animalier et en photojournalisme. Je vais d’ailleurs chaque année à Visa pour l’image à Perpignan, le style photographique me sensibilise encore plus quand c’est de l’actualité. En sous-marin, j’aime les travaux de Laurent Ballesta, de l’allemand Dirscherl Reinhard et des américains Brandon Colle et David Doubilet… L’approche photographique et artistique de chacun m’emmène à une réflexion et une critique constructives sur mes images. Chaque style m’apporte un regard moderne complémentaire ; en animalier, c’est la même chose !

Aujourd’hui, avec la multiplication des agences et l’avènement du numérique, il est important d’avoir un œil artistique propre, novateur, original et constructif. La photographie représente pour moi une façon de faire de l’écologie participative, une action pour la conservation du patrimoine naturel. Elle doit réveiller en nous l’écocivisme garant de la protection de l’environnement de notre futur et avec la photo, on ne pollue pas l’environnement…

Y-a-t-il un sujet en particulier que tu rêverais de traiter ? Un animal fétiche que tu voudrais photographier ?
Ouf, des tonnes mais je n’ai jamais eu l’occasion de photographier les grands mammifères : baleines, ours, orque, espadon voilier… La rencontre est parait-il grandiose !

Un dernier mot pour les lecteurs d’Aube-Nature ?
André Malraux disait « Il faut former des projets comme si vous étiez éternels et vivre chaque moment comme si c’était le dernier ». Il faut vivre sa passion photographique comme cela !

Merci Laurent pour cette interview, et bon courage pour la suite car nul doute que nous entendrons encore parler de toi et de tes photos !
Rendez vous à Montier 2008, merci Cédric.

6 réflexions sur “Interview : Laurent Piechegut, photographe plongeur”

  1. Avatar de Gabone
    Gabone

    Le grand bleu, un monde magnifique, un des deniers endroit encore sauvage en espèrent pour l’éternité !!!!!

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  2. Avatar de Anne-Laure
    Anne-Laure

    Merci pour cette interview !

    Les photos sont superbes et c’est vraiment génial que quelqu’un se préoccupe de photographier la faune de nos régions … c’est amusant d’ailleurs de voir traiter ces animaux qui nous sont proches de la même manière que d’autres dans ces images que l’on voit souvent des océans du bout du monde …
    j’aime particulièrement la grenouille, on pourrait presque se croire en Amazonie !! Comme quoi on a près de nous des merveilles !

    Vraiment bravo à Laurent pour son engagement photographique et écologique et ces superbes images ! 🙂

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  3. Avatar de Coralie
    Coralie

    Ses photos sont magnifiques. Quel talent!

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  4. Avatar de Phil
    Phil

    Tout ça est très vrai !
    Mais le truc qui me pose question, c’est comment diable a-t-il réaliser son bidouillage pour adapter le 60mm sur le 5D ? Je voudrais bien le savoir !
    Et bravo pour le site que je suis depuis longtemps, tj très intéressant.

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  5. Avatar de Borax
    Borax

    Étant photographe et plongeur amateur (mais pas les 2 en même temps), je tire mon chapeau à ceux qui pratiquent la photographie sous-marine. Les difficultés techniques sont démultipliées (gestion de la lumière notamment), sans parler bien sûr de l’environnement, de l’apesanteur, des risques inhérents à la plongée. Et en plus ces photos sont magnifiques. Bravo ! Et merci Cédric pour l’entretien.

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  6. Avatar de Vandeloise Bertrand
    Vandeloise Bertrand

    je trouve ces images spéctaculaires.
    J’ai également un blog photo lesphotosdebertrand.blogs…
    pourrions nous, si ca vous intéresse, faire un échange de liens?

    bonne soirée

    Bertrand

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